Créez votre propre système magicke

TITRE : Créez votre propre système Magicke
Auteur: FRATER ISRAFEL
Première Édition : 1995
Copyright: Éditions Ramuel,1995
ISBN 2-910401-19-7

4ème de couverture : Le présent texte a pour sujet la pratique de l'art magicke, c'est-à-dire les procédés de création, manipulation et communication d'univers imaginaires et de mythologie personnelles. Un texte essentiel pour la pratique de la Théurgie aux abords du 21ème siècle.

Illustration de couverture : " A personal Message from thee Temple Ov Psychick Youth "

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Ce texte est dédié à la mémoire d'Ioan Couliano,
mystérieusement assassiné en 1991
à l'âge de 41 ans




INTRODUCTION


Le présent texte a pour sujet la pratique de l'art magique, c'est-à-dire les procédés de création, manipulation et communication d'univers imaginaires et de mythologies personnelles. Le terme de magie ne suggère pas la croyance en une quelconque action thaumaturgique ou une métaphysique spiritualiste. Il est certain que le mot "psychologique" aurait causé moins de problèmes. Nous préférons cependant continuer à parler de magie, parce que nous pensons que l'action sur l'imaginaire, surtout à des fins autres que simplement ludiques ou esthétiques, a été de tout temps dévolue à une classe d'hommes particuliers qu'on appelait les magiciens. C'est pourquoi on trouvera dans ce texte davantage de citations d'Agrippa, de Crowley ou des tantristes que de rapports cliniques. Ces hommes ont en effet été les premiers à élaborer une pratique et un langage de la vie onirique, et bien que leurs a priori philosophiques nous paraissent maintenant dépassés, il reste, dans leur pratique empirique, un certain nombre d'éléments qui peuvent s'avérer tout à fait précieux. L'imaginaire informe (donne forme) le réel, ainsi que l'ont compris depuis longtemps les psychologues et psychanalystes. Mais le réel informe à son tour l'imaginaire: un simple coup d' il sur nos rêves nocturnes suffirait à le prouver si nous n'étions pas complètement assujettis au dogme des "contenus inconscients", lesquels ne peuvent être qu'"anciens". Pour le psychanalyste, en effet, tout remonte à l'époque de pipi-popo, ou plus loin encore, via l'inconscient collectif, à de mystérieux archétypes archaïques passant de génération en génération par un canal resté mystérieux (l'ADN peut contenir beaucoup de choses, mais tout de même...). Ramener tous les contenus inconscients à des réalités anciennes, la Tour Montparnasse au Phallus infantile et les chapeaux melons aux mandalas, permet d'éclipser ce que notre imaginaire possède de dynamique et rendre ainsi possible une interprétation, car un imaginaire en perpétuelle mutation devient difficilement interprétable en fonction d'une quelconque clé des songes, fut-elle sophistiquée comme la psychanalyse.

De notre point de vue, l'imaginaire n'a en aucune façon besoin d'être interprété pour remplir son rôle. Dans le modèle ici présenté, l'imaginaire est considéré comme une espèce de système de pilotage du réel fournissant à chaque instant au cerveau une vision du monde, une réalité globale, et recevant à chaque instant par les instruments des sens une série de signaux lui permettant de recréer une nouvelle réalité pour l'instant suivant.

En effet, notre langage courant ne nous autorise qu'à décrire les éléments du monde et non pas celui-ci sous une forme globale. Pour passer à ce second niveau de compréhension, un méta-langage s'avère nécessaire; pour nous, chacun possède, de manière plus ou moins consciente, une mythologie personnelle, qui ne fait qu'exprimer, sous une forme fluctuante, analogique, la vision qu'il a du monde en tant qu'entité unique et non plus comme somme d'éléments. La manipulation de ces contenus imaginaires pourrait donc, en toute logique, permettre une manipulation du réel lui-même.

La plupart de nos sociétés découragent la possibilité d'une telle éducation de l'imaginaire, laquelle serait utile à l'individu, mais nuisible à la collectivité; un imaginaire figé permettant la maintenance d'un réel stable.

Malheureusement, depuis notre accession à l'ère post-industrielle, le réel s'emballe. Nous vivons une époque réellement magique en ce sens que nos facultés d'adaptation, constamment sollicitées, ne nous permettent plus de nous en tenir à une vision du monde figée et stable.

Pratiquer l'art magique, c'est par conséquent:

- rétablir avant tout l'interaction entre le réel et l'imaginaire, en favorisant un passage fluide et constant entre l'un et l'autre.

- élaborer un nouveau type de langage, ce que j'appelle précisément un système magique, pour traiter et manipuler notre mythologie personnelle.

- le seul moyen de traiter avec la profusion informationnelle et symbolique de notre société.

- en un mot se conduire de manière résolument moderne.



LE SYSTÈME MAGIQUE

Un système magique est un ensemble de perceptions co-reliées destiné à assurer une maîtrise de l'imagination de l'expérimentateur afin de lui permettre d'obtenir certains résultats concrets dans un mode du monde particulier.

Il s'ensuit que tous les systèmes magiques ne sont pas adéquats à tous les mondes (modes du monde) possibles. Notamment, la plupart des systèmes occultistes traditionnels, parfaitement adaptés aux réalités des sociétés patriarcales rurales, se révèlent en grande partie inadéquats pour se diriger dans les méandres et les ambiguïtés de la civilisation contemporaine.

Le caractère chaotique et perpétuellement changeant du monde d'aujourd'hui rend inutiles, obsolètes dès leur naissance, les grandes synthèses de type traditionaliste (Kabbale, Tantra, etc.), les modes de perceptions du monde sont trop nombreux et perpétuellement changeants.

Fondamentalement, un système magique moderne peut être exposé au maximum en quelques dizaines de pages; un système plus complexe n'aurait guère de raison d'être, au vu de sa durée de vie obligatoirement limitée.

On peut le définir, de la manière la plus simple, comme un regroupement d'images mentales d'origines diverses structurées par une organisation particulière. C'est cette organisation qui assure la spécificité du système; sa complexité est variable et dans certains cas, elle peut sembler pratiquement inexistante. Généralement, des "procédures hypnotiques" telles que méditation, danse, etc, sont conseillées par les auteurs du système. Ces procédures possèdent en général une valeur symbolique qui ne devra pas être négligée. Utiliser des techniques sexuelles, par exemple, avec les images des "exercices spirituels" d'Ignace de Loyola risquerait d'exposer l'utilisateur à certaines difficultés difficilement solubles.

Le Liber Astarté vel Berylli d'Aleister Crowley, le "Book of Pleasure" d'Austin Osman Spare, ou " This is a magick letter " de R.A. Wilson (une page) constituent des systèmes minimum de ce type (1).

Dans le Liber Astarté, les images mentales sont issues des religions traditionnelles, les processus rituels sont également d'origine religieuse ou yogique.

Les mêmes images sont utilisées dans la Magick Letter, combinées avec la méditation, la méthode Coué et la marijuana.

Dans le Book of Pleasure, les images mentales sont créées sous forme d'idéogrammes à partir de l'écriture des mots courants (images produites volontairement par le conscient) ou surgissent spontanément dans la conscience sous forme d'images oniriques. Spare recourait également à une symbolique animale, comme le font les chamans primitifs. Les processus rituels engagés se limitent à l'obtention de l'épuisement physique ou mental, des techniques de dessin automatique, ainsi qu'une forme particulière de relaxation, la "Death Posture".

Les processus rituels sont nombreux, interchangeables, et aux effets variables selon les individus. Il s'ensuit qu'il est inutile de prétendre réduire la magie à ceux-ci. (Programmation neuro-linguistique, méthode Coué). On obtient alors une soupe thérapeutique particulièrement inefficace. Leur utilité se limite en fait à ouvrir les passages pour les images mentales et ainsi remodeler le réel.

Les images mentales étant fondamentales dans toute pratique magique, il est tentant de se servir de celles qui ont maintes fois prouvé leur efficacité: les divinités et les esprits des croyances traditionnelles.

Celles-ci doivent probablement leur puissance au fait qu'au cours de leur histoire elles ont été adaptées et modifiées pour correspondre à la psychologie d'un maximum de gens, les images inadéquates étant éliminées ou absorbées par d'autres. Cette théorie darwinienne a l'avantage de rendre inutile la théorie surnaturaliste et floue d'un C.G. Jung sur les archétypes.

Le recours aux divinités reste une méthode simple pour les personnes qui n'ont pas l'habitude de travailler leur imagination. Cette technique présente cependant certaines limites.

Ces divinités étant des figures collectives, elles n'éveilleront probablement en chacun de nous que ce qu'il y a de plus commun. Par conséquent, il est inutile d'en attendre beaucoup d'originalité. Au pire, on risque de devenir quelqu'un de complètement stéréotypé. En bref, il s'agit d'un système inadéquat pour la création, artistique ou autre. De plus, et bien qu'elles aient prouvé leur valeur au cours des siècles qui précèdent, il ne faut pas oublier que nous vivons, depuis cinquante ans, une période de changements pour le moins aussi importante que celle de l'apparition de l'écriture à Sumer. Rien ne prouve par conséquent qu'elles présentent une quelconque importance pour la psychologie contemporaine.

Le caractère de beaucoup d'occultistes, souvent figé dans des conceptions à la fois stéréotypées et dépassées, est une illustration de ce genre de danger.

On pourra bien sûr continuer à employer la symbolique traditionnelle, mais de manière marginale, en la reliant à des complexes d'imagerie plus personnels.

Ces images pourront être tirées de rêves nocturnes, de la mémoire personnelle de chacun ainsi que de l'ensemble du patrimoine culturel de l'humanité, en incluant les bandes dessinées et la T.V., sans considération de leur caractère "sacré" ou "profane". Certaines images mentales apparaissant spontanément au sein de la conscience éveillée au cours d'expériences d'introspection seront également utilisées avec profit.

Il est à noter qu'à la place d'images, d'autres types de perceptions, par exemple les sons, les odeurs, les textures, pourront être utilisées.

La constitution volontaire de cette imagerie en système n'est même pas nécessaire, mais a tendance à survenir au cours de l'expérimentation. En effet, le rapport des images entre elles d'un côté, avec le réel de l'autre, implique tôt ou tard une formalisation qui déterminera au final le mode d'action magique.

J'appelle "action magique" un type particulier de stratégie, qui consiste, face à une situation donnée, à adopter une attitude mentale particulière qui permettra de traiter au mieux ladite situation.

Fondamentalement, l'Art magique se rapprocherait plus du surf que par exemple de l'alpinisme: rester à la surface d'un monde fluide en perpétuelle mutation plutôt que vouloir à tout prix escalader l'arbre des séphiroth par sa face nord.

Savoir à quel type de situation correspond quel type d'attitude mentale, puis ensuite quel type d'images est susceptible de faire apparaître cette attitude, c'est là tout le travail du magicien.

La production d'images mentales apparente le travail du magicien à celui de l'artiste. Mais la connaissance des organisations possibles de celles-ci nous rapproche en fait de la science, et quelle science ! Il n'existe pas en effet de psychologie humaine type; le cerveau, objet le plus complexe de l'univers connu, ne tolère pas de telles simplifications; toutes les tentatives pour catégoriser les images de façon définitive, que ce soit à l'aide de la psychanalyse, de l'astrologie ou de n'importe quel autre système idéologique, n'ont abouti, au pire qu'à un échec complet, au mieux, comme nous l'avons dit plus haut, qu'à un système extrêmement standardisé, capable de traiter des éléments psychiques simplifiés. La science dont nous parlons n'a donc pas de principes de base, chaque individu étant par trop différent. Il sera par conséquent préférable de renoncer à tenter de reconstituer son propre esprit à partir des éléments fondamentaux qui le constituent; si tant est du reste que ceux-ci aient été découverts ou même existent.

Si nous admettons l'impossibilité de discuter d'une psychologie type, les techniques d'observation des états mentaux et de manipulation des images magiques ressortent elles à une méthodologie très proche de la recherche scientifique traditionnelle (et de l'empirisme primitif) qu'on pourra exposer, discuter, critiquer et remodeler.

Les deux axes principaux de la recherche consisteront en une classification des images magiques (ou des flux d'images magiques) en fonction des états mentaux; la seconde, en une utilisation adéquate de ces images en vue de résultats précis.

La plupart des systèmes magiques évitent soigneusement la confrontation avec ce genre de problèmes: tout d'abord parce que, fréquemment d'origine traditionnelle, la conception qu'ils présentent de l'efficacité est très différente de celle que la plupart d'entre nous possèdent actuellement; ensuite parce que les images mentales sont considérées comme des représentations de forces cosmiques réelles, possédant une action qui leur est propre, et non comme des constructions possédant leurs limites et déterminées historiquement. La psychanalyse jungienne, qui postule des archétypes éternels et reconnaissables à travers les différences de culture et d'époque, n'échappe pas à ce défaut.

Ensuite, la plupart de ces systèmes présupposent une efficacité thaumaturgique, c'est-à-dire la possibilité d'une action à distance indépendante de tout médium matériel actuellement analysable. Il n'est pas dans notre intention d'entrer dans le débat parapsychologique; si de tels modes d'action existent en mettant au point un protocole qui autorise la répétabilité. En attendant, je crois qu'il est préférable de mettre ces "pouvoirs" entre parenthèses. Si après tout, ils se manifestent il est toujours permis de profiter de l'occasion qui passe ! Mais il est à mon avis naïf de compter dessus, et ce serait, je pense, faire preuve d'une coupable légèreté que de construire une stratégie ou une méthodologie sur l'existence de phénomènes qui sont invérifiables, non-répétables, et dans certains cas, purement et simplement inexprimables. Ceci dit, il faut bien reconnaître que les "synchronicités" et autres bizarreries semblent se multiplier pour qui se lance dans ce genre d'expérimentations. Cependant, il paraît (pour l'instant) plus logique de tenter d'expliquer au moins un bon nombre de ces phénomènes par l'intervention de mécanismes mentaux inconscients et complexes (signaux non verbaux, altération légère de la grille perceptive, etc) que par la mise en oeuvre de pouvoirs "surnaturels" ou "parapsychiques".

Sur les processus rituels, il suffira de dire qu'il suffit d'entrer, par une méthode ou une autre, en résonance avec un certain type de contenu imaginaire. L'éventail des techniques hypnotiques est vaste et connu. D'ailleurs, on s'apercevra parfois avec surprise que penser spontanément à une image magique provoque parfois un effet psychologique plus puissant qu'un rituel ou une méditation savamment orchestrée. Il est possible que finalement les techniques rituelles n'aient aucune autre efficacité que celle de la réactualisation constante des images mentales. Une fois celles-ci vitalisées et imprégnées dans l'esprit, elles peuvent fonctionner toutes seules sans recours extérieur. Finalement, toute pratique psychologique se réduirait à l'antique cérémonie du sacrifice, qui consiste à donner vie et nourrir un esprit en lui offrant quelque chose, que ce soit ses perceptions, sa respiration, un peu de pain et d'eau ou une cohorte d'esclaves.

C'est donc à la création et à l'organisation du set d'images mentales que nous allons maintenant nous intéresser.


CERTAINS L'AIMENT CHAUD

La principale distinction (empruntée à Marshall Mc Luhan et employée ici dans un sens largement détourné) qui devra par la suite être relativisée, se trouve entre ce que j'appellerai les symboles "Hot" et les symboles "Cool". Je ne conserve pas la traduction habituelle "froid" et "chaud" utilisée en général, qui ne tient pas compte du fait que Mc Luhan ait élaboré ces concepts en référence aux écoles de jazz hot et cool.

Un symbole Hot, comme le média du même nom, réduit au minimum l'interactivité avec le sujet récepteur. C'est généralement une image mentale signifiante, composée d'éléments à impact émotionnel fort. L'image vénusienne donnée par Giordano Bruno est un symbole Hot: "Un homme couronné à l'auguste prestance et d'un aspect des plus doux, chevauchant un chameau, revêtu d'une robe de la couleur des fleurs, conduisant par la main droite une jeune fille nue, se déplaçant avec gravité, de manière vénérable... depuis l'ouest, accompagné d'un zéphyr bénéfique, vient une assemblée d'une beauté omniforme" (F. Yates, Giordano Bruno et la tradition hermétique).

Le symbole hot appartient au domaine de la communication analogique, non verbal. C'est l'image magique type, et aussi l'arme favorite des publicitaires et propagandistes. Son efficacité tient à l'effet qu'il provoque sur la psychologie du récepteur. Cependant attention ! il n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire de prédire la nature de cet effet ! La complexe psychologie du récepteur, son histoire, ses goûts et dégoûts interviendront alors. C'est le problème justement des publicitaires et propagandistes, qui n'obtiennent finalement de bons résultats qu'au sein de groupes homogénéisés partageant les mêmes valeurs symboliques, c'est-à-dire les sociétés totalitaires, holistiques, ou aux mains d'un seul système de médias. Les sociétés authentiquement démocratiques, le jour où elles existeront, auront plutôt tendance à encourager la prolifération de multiples petits systèmes symboliques.

L'exemple type d'un symbolisme "hot" purement individuel est bien entendu celui du rêve nocturne, et l'emploi, à des fins magiques, des images oniriques les plus fortes. En ce cas, et peut-être en ce cas seulement, l'émetteur et le récepteur sont rigoureusement identiques; dans les autres cas, l'émetteur peut être un gourou, une tradition entière, la T.V., un jeu vidéo, un groupuscule ou un simple livre de poche. Par contre, il semble que le récepteur ne puisse délibérément composer un symbole "hot" sous peine de lui faire perdre son efficacité émotionnelle. L'intérêt du rêve réside précisément dans le fait que, malgré l'identité de l'émetteur et du récepteur, son contenu apparaisse comme un donné, mystérieux, incompréhensible. A l'opposé, le symbole "cool" appartient à l'ordre du linguistique, du digital; son impact émotionnel (du moins quand il existe à l'état pur, ce qui n'arrive presque jamais) est nul ou quasi nul; cependant il revêt une importance capitale pour le sujet qui nous occupe. Grosso modo, sa fonction est double:

- Il peut jouer le rôle d'un schéma organisateur pour le set de symboles "hot" utilisé.

- Il peut, chose importante, être "réchauffé" petit à petit pour devenir à son tour un symbole "hot".

En résumé, le rôle d'un symbole "cool" est d'emmagasiner de l'expérience. Par rapport au symbolisme "hot", on pourrait dire en langage informatique qu'il tient la place de l'adresse par opposition à la donnée. Ou pour employer les termes de l'ancien Art de la mémoire, il constitue le système de loci, par opposition aux images qui y sont contenues. C'est l'usage de ce symbolisme "cool" qui différencie le magicien du simple artiste et qui est censé projeter le premier plus loin (alors qu'en fait, comme nous allons le voir, il aurait plutôt tendance à le limiter et refouler sa créativité).

L'arbre des séphiroth, le système énochien de John Dee, les Yantras et Mandalas, les hexagrammes du Yi King, les roues lulliennes, les signatures des anges et démons, les sceaux de Spare, tous ces diagrammes mystérieux et impénétrables qui peuplent les manuscrits magiques de toutes les époques et de tous les peuples, participent de ce type de symbolisme.

J'ai été un moment tenté d'établir une séparation entre les procédures (cérémonies et rituels) et les symboles "cool". En général, une cérémonie n'est rien d'autre qu'un symbole "cool" se déployant dans l'espace et le temps, mixé avec un certain nombre de procédures hypnotiques (musique, respiration, etc).

Alors que les psychologues ont depuis longtemps reconnu l'importance des images oniriques et du symbolisme du premier type, ils ont splendidement ignoré celui-ci (sauf Jung qui voyait des Mandalas partout, y compris dans les chapeaux melons), sans doute parce que ces diagrammes appartiennent plutôt au domaine de la protophysique ou protocosmologie qu'à la psychologie proprement dite. L'arrogance des représentants des pensées traditionnelles ou pseudo-t-elles, qui affirment sans rire l'existence de "vérités cosmiques ineffables" à l'intérieur de ces schémas, n'a pas contribué à clarifier la situation.

Bien entendu, il est probable qu'au départ la théorie protoscientifique était la bonne. Il ne s'agit pas ici de faire des anciens chamans et magiciens de puissants maîtres en psychologie ! Au contraire, la magie a toujours été une activité désordonnée, empirique, et la plupart des systèmes sont basés sur des idées fausses. L'efficacité psychologique que ces pratiques peuvent donc avoir - ou ne pas avoir - est probablement indépendante des idéologie émises par les magiciens sur leur propre domaine.

Un symbole "cool" appartient donc au domaine de la communication digitale, codée arbitrairement; apparemment, rien ne différencie l'arbre des séphiroth de l'organigramme d'une entreprise de transport ou un yantra d'un projet de nouveau circuit intégré. Mais ce symbole "cool" représente une carte dans laquelle le magicien va classifier non seulement les symboles "hot" mais également toute son expérience et toutes ses connaissances. C'est l'existence du symbolisme "cool" qui donne à la magie sa véritable fonction: la possibilité de réorganiser systématiquement sa vision du monde. C'est par l'intermédiaire de ce genre de schéma que le magicien pourra éventuellement associer chacun des symboles de son imagerie magique à un état mental correspondant, et par conséquent les rendre opératoires.

Autre chose importante: un symbole "cool" peut être arbitrairement composé. Entrent dans cette catégorie les créations d'Anges à l'aide des tables kabbalistiques ou énochiennes, les systèmes lulliens et bruniens de permutations, les sceaux d'A.O. Spare, etc. Le procédé est généralement le suivant: on dispose d'un certain nombre d'éléments linguistiques clairs (en fait les symboles "cool" de premier niveau, par exemple les lettres de l'alphabet hébraïque ou énochien, les syllabes-germes du yoga tantrique, etc) qui, par association, permutation ou autre méthode, permettent d'obtenir une entité nouvelle. Cette technique présente son importance, car elle permet, non seulement d'emmagasiner de l'expérience, mais également d'en créer. Il devient alors possible d'utiliser le nouveau symbole ainsi obtenu comme base de méditation ou d'hypnose pour explorer un état mental qui n'existe pas encore, mais qui se révélera petit à petit. Des symboles "hot" apparaîtront alors au cours du travail, lesquels pourront servir à leur tour au cours des opérations suivantes.

A.O. Spare exprime ainsi ce va-et-vient entre les deux types de symbolismes: le "sceau" (symbole "cool") est envoyé à l'inconscient au cours de certaines périodes. L'inconscient envoie des messages au conscient sous forme d'imagerie. Une communication intra-personnelle s'établit alors entre les différents aspects de la psyché.

La cérémonie, quant à elle, peut être considérée comme le déploiement d'un symbole "cool" (ou d'un système de symboles "cool") dans le temps et parfois aussi dans l'espace. Une cérémonie minimale se confond généralement avec une procédure hypnotique mais, cependant, son efficacité en tant qu'élément symbolique ne peut être négligée. Dans le Hatha-Yoga, par exemple, la posture, quelle qu'elle soit, en dehors de ses bienfaits psychologiques reconnus, possède également une réalité sémantique, les différentes torsions musculaires constituant une espèce de code d'accès à un réseau d'images mentales particulier (essayez, vous verrez). Certaines postures, comme celle du Lotus, sont même d'excellents exemples de symbolisme "cool" "réchauffé", les bienfaits physiologiques se confondant à la fois avec les états mentaux particuliers éprouvés durant la méditation et avec tout un système d'imagerie bouddhique et hindouiste où cette posture joue un rôle prédominant.

Cette notion de réchauffement de symbole que nous allons maintenant aborder est d'une importance toute particulière; elle est en effet la clé, non seulement de la pratique personnelle de l'art magique, mais également de la communication interpersonnelle d'univers symboliques.

Sur le plan individuel, le "réchauffement" ne présente rien de bien dangereux, et peut se révéler au contraire fort utile; nous avons vu que le symbole "cool" permettait de regrouper, en fonction de sa propre histoire et de ses propres inclinaisons, toute une constellation d'expériences, de sensations, d'images, dont un bon nombre appartiennent à la catégorie des souvenirs personnels, les autres, d'origine onirique ou fantasmatique, faisant partie de ce que nous appelons la "mythologie personnelle": les symboles "hot". Petit à petit, avec la pratique, l'apprenti magicien en viendra, par la simple évocation mentale du symbole "cool", à pouvoir prendre contact avec la constellation qui y est associée. Pour employer un langage batesonien, il aura sauté une classe d'objets, celle des éléments symboliques, pour aborder le niveau suivant, qui est l'étude des relations entre ces éléments. En bref, il aura créé ce que j'appelle un univers magique minimum, lequel est en général partie d'un univers magique plus vaste, constitué par le système symbolique "cool" dans son entier (lequel peut être partie d'un méta-système, etc).


L'UNIVERS MAGIQUE

On peut considérer l'univers magique comme la brique fondamentale de la psychologie du magicien. C'est à ce niveau de complexité qu'il convient de parler réellement de magie et non plus simplement d'expérience fantasmatique. Les différents symboles, "hot" et "cool", qui forment un univers ne prennent de sens et ne deviennent opératoires que lorsqu'ils sont ainsi fondus, regroupés, anéantis peut-être même, à l'intérieur d'une constellation relationnelle particulière, l'Univers magique. C'est en évoquant cette espèce d'agrégat symbolique, soit par une procédure hypnotique, un rituel complexe ou simplement en y pensant, que le magicien pourra réorganiser son expérience du réel. Si l'opération est particulièrement réussie, elle aura peut-être des conséquences jusqu'au niveau comportemental et non ver-bal, dans un domaine situé en dessous des possibilités d'investigation de la conscience; des phénomènes "inexplicables" (c'est-à-dire indicibles) pourront alors apparaître et on pourra être tenté d'invoquer une explication surnaturelle ou parapsychologique.

Comme nous l'avons précisé plus haut, il semblerait que lorsque la constellation présente une intensité émotionnelle particulièrement forte, il soit inutile de procéder à de complexes manipulations hypnotiques ou rituelles.

Sur cette efficacité de la magie dans les domaines comportementaux, nous ne pouvons pas dire grand-chose, sinon qu'il semble qu'elle existe. Cependant, seul un observateur extérieur pourrait arriver à déterminer les modalités d'action et les changements provoqués par un rituel. Cet observateur devrait avoir une formation d'éthologiste, tant il est vrai que, dans les domaines souterrains de la communication non verbale, nous ne différons guère de nos cousins chimpanzés.

Notons donc simplement qu'il semble (c'est là le point de vue "constructiviste" tenu par l'école de Palo Alto, notamment Paul Watszlawick) que l'ensemble des schèmes comportementaux soit relié à la construction du monde par notre esprit. Seule l'efficacité comportementale pouvant témoigner de la valeur ou de l'inanité d'un système du monde.

La technique magique nous permet donc en fait de disposer de plusieurs mondes, et par conséquent d'élargir notre palette comportementale. En somme, elle nous permet tout simplement de vivre dans un monde plus vaste.

Un tel univers magique, contrairement à ce qu'on pourrait penser, n'est pas constitué d'un set limité de symboles et d'expérience. Bien au contraire, chaque univers magique est capable théoriquement de contenir toute l'expérience du sujet; ce qui le différencie d'un autre univers tient plutôt à l'ordre dans lequel ces éléments apparaissent à la conscience, des premiers (ceux qui apparaissent dès l'évocation du symbole "cool") aux plus lointains, (qui n'apparaissent qu'à la suite d'un long et subtil parcours d'associations d'idées). Un même élément peut donc appartenir à plusieurs univers magiques différents, voire à tous; c'est simplement sa place au sein de la "constellation" qui modèle, d'une façon plutôt que d'une autre, la matière d'un univers particulier.

Un univers magique apparaît donc comme la version formalisée de notre univers mental quotidien, se développant à partir d'un centre particulier (le symbole "cool") composé d'une couronne de symboles "hot" "forts" et d'une périphérie qui se perd dans l'infini. Sa limite ne tient donc pas à la quantité d'éléments qu'il peut contenir, mais plutôt à la configuration géométrique centrée qu'il présente, laquelle, totalement artificielle, en fait un monde spécialisé, privilégiant certaines tâches ou certains comportements par rapport à d'autres.

C'est Aleister Crowley (1875-1947) qui mentionna pour la première fois le caractère limitatif et par conséquent dangereux des différents mondes magiques. Il préconisa pour résoudre le problème un système dialectique opposant chaque type de monde à son exact opposé.

Malheureusement, Crowley, trop attaché aux superstitions de la tradition ésotérique, tint absolument à modéliser son système sur l'arbre des séphiroth de la Kabbale juive et chrétienne, lequel est un système de symbolisme "cool" non seulement centré, mais par dessus le marché, hiérarchiquement structuré. Au final, il se retrouva à peine moins emprisonné que s'il avait possédé un univers magique et un seul.

Nous pouvons déduire de son expérience malheureuse que non seulement l'univers magique est psychologiquement limitant, mais de même, le système symbolique qui le sous-tend peut se révéler à son tour oppressant, du moins s'il est aussi centré.

L'une des possibilités serait de poursuivre la construction de méta-systèmes, un univers magique limité étant intégré à un système lui-même limité, mais intégré à un méta-système limité... Cette "mise en abîme" fractale a été choisie par un certain nombre d'occultistes, soucieux de conserver au maximum les constructions symboliques traditionnelles; on a vu ainsi fleurir des "poupées russes", des arbres des séphiroth composés d'arbres des séphiroth, des mandalas de mandalas, etc. Une très belle idée en théorie mais un excellent moyen de s'embrouiller complètement, et en tout cas totalement inutilisable sur un plan pratique.

Nous suggérons, quant à nous, la possibilité de casser dès le premier niveau (celui du système symbolique) tout système hiérarchique de relations. Dans notre hypothèse, les univers symboliques sont indépendants les uns des autres, en nombre indéfini, toute relation entre eux n'étant établie que de manière transitoire.

Autrement dit, nous suggérons de remplacer les anciens modèles hiérarchiques néo-platoniciens par une version psychologique de la thèse des "mondes infinis" de Giordano Bruno, qui est aussi, soit dit en passant, à la base de la science moderne.

Bien sûr, si l'on désire continuer l'analogie, on peut être tenté de regrouper les mondes en galaxies, amas locaux, etc. mais nous retomberons sur les galères fractales que nous avions réussi à éviter tout à l'heure. Comme toute analogie, celle-ci devient pénible lorsqu'on la pousse trop loin.

Cette vision de l'esprit comme d'un espace infini, non centré, non hiérarchisé, dans lequel apparaissent des mondes centrés mais limités et déterminés historiquement, qui ne peuvent se rencontrer qu'au gré d'improbables collisions, m'apparaît plus proche de la sensibilité de notre civilisation contemporaine, avec ses échanges constants et fluctuants d'informations, ses visions du monde multiples en évolution constante, qu'un système hiérarchique convenant à une société patriarcale où toute information n'avait qu'une seule provenance: l'autorité, et une seule direction: de haut en bas.

Il est à noter qu'une telle vision se rapproche davantage de celle du primitif, qui vit dans un monde peuplé d'esprits et de dieux, que de celle d'un représentant des grandes civilisations traditionnelles (ce qui, lorsqu'on y pense, est normal: le "primitif" vit dans un univers sauvage qu'il ne contrôle pas, rempli d'entités indépendantes et libres; nous-mêmes vivons dans une espèce de jungle électronique sur laquelle nous avons cessé, depuis longtemps, d'avoir tout pouvoir. Seul l'agriculteur vit dans un monde policé d'où tout imprévu, tout événement, doit être soigneusement banni rituellement, toute surprise ne pouvant être que négative: famine, sécheresse).

Pourquoi l'univers magique, la constellation symbolique, est-elle plus opératoire que le symbole isolé ? Probablement parce que, comme l'imaginaire non formalisé, elle est dynamique et fluctuante, alors qu'un symbole isolé, qui n'est pas constamment revitalisé par ses pairs, n'est qu'une image morte. Au sein d'un univers magique, rien n'est jamais clos; non seulement de nouveaux symboles, de nouvelles associations peuvent voir le jour, mais d'autres meurent ou sont remplacés. Une image symbolique très forte à un moment (très près du "centre") finira par perdre de sa prééminence, disparaître, laisser la place à des configurations plus jeunes. Au final, l'univers magique lui-même peut être intégralement transformé, voire tout simplement laissé de côté, telle une planète à jamais perdue dans les ténèbres de l'infini cosmique...

LES MAINS INVISIBLES

C'est cet aspect dynamique de l'univers magique qui en fait le centre d'une véritable confrontation entre notre production imaginaire et le "réel".

L'univers magique est également le premier "mot" imaginaire communicable à autrui, les différents symboles "hot" et "cool" n'en constituant que les phonèmes.

L'explication en est simple; reprenons à cette fin l'exemple de la posture du Lotus.

Imaginons que vous communiquiez la posture du Lotus à quelqu'un qui ignorerait tout, absolument tout de la tradition orientale, qui n'aurait même pas lu le "Lotus bleu". Celle-ci, en dehors comme nous l'avons dit de ses bien fait physiologiques, pourrait servir à votre sujet comme lieu de passage pour rencontrer et traiter ses propres productions imaginaires. La métaphysique ou la mythologie qu'il élaborerait alors à partir de l'expérience de la posture ne présenterait pas le moindre rapport avec la philosophie indo-bouddhique. Un symbole "cool", comme nous l'avons dit, est vide.

Si par contre je communique, comme le font les publicitaires, tout un set de symboles "hot", alors mon sujet pourra les récupérer en fonction de son vécu et de l'effet qu'ils produisent sur lui, et à nouveau la "signification" de mon message magique sera perdue.

Si je me trouve communiquer une constellation de symboles "hot" très forts intégrés à une procédure, un rituel permettant l'interactivité avec le sujet récepteur, alors ce dernier pourra intégrer sa propre expérience au système, mais les trains d'associations d'idées qu'il pourra produire seront forcément mis en relation avec les premiers symboles "hot" déjà fournis avec le matériel. Ceux-ci seront alors réactivés par l'expérience du sujet.

Si maintenant je communique mon univers à un nombre indéfini de sujets récepteurs, et que ceux-ci aient à entretenir des rapports sociaux, il leur sera possible d'échanger des informations sur leurs univers mentaux respectifs en utilisant un langage consensuel: celui fourni par le ou les symboles "cool" et les symboles "hot" associés, qui auront été fortement vitalisés par le contact avec l'imaginaire personnel de chacun. Ce dernier par contre sera éliminé de la communication interpersonnelle; tout d'abord parce que trop spécifique, et ensuite, surtout si nous sommes dans un milieu mystique ou occultiste, parce que ses contenus pourront paraître honteux, anormaux, hérétiques. Seuls passeront finalement les symboles personnels particulièrement en accord avec le système (c'est-à-dire ayant des chances statistiques de plaire à un grand nombre de membres du groupe) ou encore ceux produits par quelqu'un disposant d'un leadership suffisamment puissant au sein du groupe en question pour que ses idées ne soient plus discutées.

En opérant ainsi, j'ai créé une espèce d'organisme mental susceptible de se reproduire indéfiniment en acceptant uniquement les mutations favorables et éliminant les autres. Cet organisme est en fait constitué d'un simple code, un set correctement organisé de symboles "hot" et "cool". Une fois le code absorbé par un "porteur", celui-ci en viendra à réactiver l'ensemble des images appartenant à l'univers magique en question (et qui correspondent bien entendu à certains schèmes comporternentaux). Comme les images magiques les plus fortes, les plus prégnantes, sont précisément celles qui ont été fournies au départ, ce sont elles qui auront tendance à organiser les comportements et les attitudes du sujet récepteur, lequel aura alors tendance à se comporter de manière stéréotypée et donc (dans certaines limites) relativement prévisible.

Ces organismes mentaux possèdent un nom en occultisme. On les appelle les égrégores, et en gros il s'agirait d'une espèce de masse de protoplasme astral rose translucide créé par les formes pensées de tout un groupe. Si on élimine cet ensemble de croyances pseudo-physique, on peut quand même supposer l'existence d'une réalité psychologique des égrégores.

On remarquera (et on ne peut que pousser un ouf de soulagement) que cette technique de manipulation mentale n'est pas simple, puisqu'elle présuppose avant tout un certain degré d'interactivité (et donc de consentement) de la part du sujet récepteur.

La technique du "matraquage" systématique, et même l'utilisation d'images subliminales ne serait par conséquent pas susceptible de produire une manipulation réelle et durable. Les événements de ces dernières années ont montré à quel point les multiples "1984" orwelliens apparus au cours du XXème siècle étaient en réalité des régimes fragiles, prêts à s'écrouler au moindre défaut de vigilance.

C'est en réalité le degré d'interactivité permis qui, paradoxalement, est à l'origine de la manipulation. Il faut donner l'impression au sujet récepteur qu'il se réalise, qu'il développe un comportement qui lui est propre, alors qu'en réalité il ne faut que réactiver des schèmes collectifs implantés avec le symbole "cool" qui lui a été confié.

L'équivalent d'un tel type de manipulation se retrouve sous sa forme la plus simple dans le langage de tous les jours et est bien connu des hommes politiques. Il existe dans chaque langue un certain nombre de mots qui acceptent difficilement une définition précise mais qui cristallisent autour d'eux une symbolique collective extrêmement puissante, en même temps qu'ils suscitent une forte fantasmatique personnelle. Ils s'agit des mots sans référents de Korzybsky, bref, des mots creux comme "Dieu", "Liberté", "Amour", etc, lesquels sont vides de sens à l'état pur mais qui peuvent être totalement chargés symboliquement par leur contexte. Lorsque l'homme politique ou religieux recourt à de tels termes, il n'ignore pas que chacun pourra y projeter son imaginaire personnel, tout en devenant simultanément sensible au discours qu'il développe.

Mais un symbole "cool" peut également opérer un contrôle sans le soutien d'aucune sorte d'images fortes périphériques. Une structure géométrique suggère par elle-même un certain type d'organisation. Par exemple, l'arbre des séphiroth est un système hiérarchique, centré avec une symétrie bilatérale. Cela suffit pour que les informations suivent un chemin relativement prédéterminé, même si toute référence à la kabbale a été soigneusement éliminée.

Il est donc possible d'élaborer un type particulier de manipulation mentale dont on pourrait dire qu'elle est caractérisée simultanément par une débauche de productions mentales originales dans la sphère privée (ou, si l'on veut, au cours d'une communication intrapersonnelle) et par une standardisation totale des rapports sociaux. Un tel système peut être dit stable, puisque chacun y trouve son compte, l'individu qui y participe et le milieu dans lequel il se trouve.

Il est facile de comprendre pourquoi ce type d'organisation est à la base de nos sociétés modernes et démocratiques. On a beau jeu, en cette période de chute du communisme, d'opposer "idéologie" politique et "réalités" économiques, comme si celles-ci, en fait de réalités, n'étaient pas autre chose que des règles, des modèles ne devant leur existence qu'à la valeur que leur accorde chacun.

La seule différence actuelle entre les champs du politique et de l'économique se tient précisément en ce que l'un utilise un système symbolique extrêmement actif et standard qui est susceptible de provoquer des réactions extrêmes quelque temps, mais reste tôt ou tard condamné au vieillissement, au refroidissement, alors que l'économique utilise des structures abstraites réglementant les échanges symboliques sans jamais tenir compte du contenu, ce dernier étant laissé à l'appréciation de chacun.

C'est ce qui permet à l'état capitaliste moderne d'être simultanément le plus froid des monstres froids et la plus érotique des sex-machines. Nous avons ici affaire à un système magique parfaitement huilé, dans lequel la débauche symbolique est proportionnelle à la capacité mathématique de modélisation.

Un tel système de contrôle est bien sûr très proche des théories d'Adam Smith selon lesquelles l'ordre social serait naturellement assuré par le jeu des intérêts économiques de chacun.

La loi thélémite d'Aleister Crowley, qui n'est qu'une extrapolation, sur le plan religieux, des théories de Smith sur le libéralisme économique, postulait également que "chaque homme et chaque femme est une étoile" et que l'accomplissement par chacun de sa Vraie Volonté résulterait, sur le plan collectif, en une harmonie céleste d'un ordre supérieur.

Bien entendu, croire qu'une telle méta-organisation est un phénomène naturel spontané, est une idée naïve. Au contraire, l'indépendance de chacun dans la sphère privée a pour corollaire le partage par tous d'un même système d'organisation géométrique du monde, lequel devra augmenter en précision et en complexité au fur et à mesure que les délires de la sphère privée se feront plus sauvages et chaotiques.

Ceci dit, rien ne prouve que le système capitaliste moderne soit le seul type d'organisation de ce genre, et qu'on n'en verra pas apparaître d'autres à moyen terme. Tout ce que l'on peut en dire, c'est que cette "contestation" ne prendra certainement pas la forme d'une critique d'ordre moral (laquelle, reposant sur une symbolique "hot" pourra immédiatement être récupérée et intégrée, ce qui s'est déjà souvent produit), mais plutôt comme un ensemble de phénomènes incompréhensibles, troublants, désorganisateurs au sens propre du terme. Un tel système devra se révéler de surcroît encore plus puissant que le nôtre, favoriser une indépendance encore plus forte dans le domaine du privé et une banalisation plus totale des rapports sociaux.

Décrit ainsi, l'avenir pourrait sembler effrayant; c'est parce que nous avons l'habitude de penser essentiellement en terme de société, de collectif, l'individualisme étant finalement encore une idée neuve. Cependant, si nous changeons de lunettes, nous nous apercevrons que chacun d'entre nous a énormément à gagner à participer à de tels systèmes qui, finalement, ressemblent étonnamment au mécanisme de la vie elle-même (accroissement de la complexité de l'organisme, entropisation du milieu). Franchement, échangeriez-vous votre place d'individu anonyme du XXème siècle, contre celle d'un serf de la société féodale, uniquement pour jouir de la chaleur d'une société à l'échelle humaine, où la "différence" est respectée (surtout entre les maîtres et les esclaves) ?

Quoi qu'il en soit, l'avenir appartient à ces modèles d'organisations sociales. Comme l'écrit Ioan Couliano dans "Éros et Magie" (auquel le présent texte doit d'ailleurs beaucoup), l'État magicien n'a pas grand-chose à craindre du totalitarisme. S'inspirant de Bruno, Couliano analyse comment le magicien moderne peut opérer un contrôle sur les masses en manipulant la fantasmatique collective. Il y oppose l'état policier, qui ne peut survivre que par la contrainte.

Pour nous, au contraire, les deux types d'état reposent sur une manipulation fantasmatique; il n'y a qu'à voir la débauche d'images fortes associées au nazisme, au stalinisme, et maintenant à l'intégrisme. L'aspect policier n'intervient que pour éviter le vieillissement prématuré de ces images par la contamination d'éléments étrangers. Le magicien démocratique, au contraire, se garde bien d'agir sur les symboles "hot". Il se contente de favoriser, dans les rapports sociaux, l'apparition de structures abstraites de communication.

On peut donc considérer que l'avenir n'est pas aux regroupements fusionnels autour d'une thématique très forte, mais plutôt à la constitution d'expériences communes par le partage d'une procédure ludique, abstraite et pas forcément pourvue de sens: la société initiatique plutôt que la secte religieuse; la factory d'Andy Warhol ou les Merry Pranksters de Ken Kesey plutôt que le manifeste du surréalisme; le gang motorisé plutôt que le groupuscule activiste et les joueurs de Dongons et Dragons plutôt que les partis politiques.

Si l'on désire faire passer une idée particulière dans la société, on aura soin avant tout de créer une structure abstraite de communication dont on maîtrisera totalement les règles; puis associer l'idée souhaitée à toutes les activités de cette structure, comme un symbole "hot" central; enfin, laisser s'exprimer au sein de cette structure l'ensemble des opinions ou actions les plus diverses, y compris les plus opposées à l'idée de base; celles-ci, en se répandant, répandront la structure et par conséquent l'idée souhaitée.

CONCLUSION

Si l'association d'idées reste l'instrument principal de la magie, il ne faut pas hésiter à tuer certains types d'associations, à atomiser certaines constellations symboliques qui ont fait leur temps et peuvent se révéler dangereuses. L'une des techniques possibles est par exemple de partir d'un point quelconque de la constellation (éventuellement même le "symbole cool central") et de développer un train d'associations nouveau, en s'interdisant de recourir aux anciens automatismes.


RÉSUMÉ

- L'imaginaire est fluctuant, tout comme le réel. Il exprime sous forme analogique, non verbale, l'aspect global de la réalité à un moment donné.

- L'art magique se propose d'entretenir ou rétablir une interaction saine imaginaire/réel. A cette fin, la constitution d'un système linguistique particulier s'avère nécessaire.

- La manipulation des symboles "hot" et "cool" est l'objet de la magie. L'emploi des techniques hypnotiques diverses reste secondaire et peut se révéler à la longue inutile.

- L'essence d'une opération magique consiste à adopter une attitude d'esprit convenant du mieux possible à une situation donnée. Il n'existe probablement pas d'attitude parfaite, mais certaines sont préférables à d'autres.

Le principe de base de l'art magique consiste en une opération de mise en relations et de classification d'images mentales fortes (symboles "hot") à l'aide d'opérateurs originellement vides, les "symboles cool".

- Une fois un univers magique constitué par cette méthode, une simple évocation du symbole "cool" central suffit pour le mettre en action.

- Les univers magiques sont en nombre infini, comme les situations du réel. Ils ne peuvent être hiérarchisés entre eux, car il n'en existe aucun qui soit parfait, c'est-à-dire qui puisse convenir à n'importe quel type de situation. Il n'existe pas de set limité d'univers magique permettant de faire face à n'importe quel type de situation.

- Le contenu des univers magiques, la méthode de création, leur application aux différentes situations du réel ne peuvent qu'être laissés à la sagacité de chacun. Dans ce domaine, comme dans tous les autres, il n'existe qu'un seul guide: l'intelligence.

- Il devrait y avoir moyen d'accroître son intelligence en utilisant l'art magique.


APPENDICE

UNE LETTRE MAGIQUE DES ILLUMINÉS DE BAVIÈRE

La science de la Neurologique est facile.

L'humanité est (temporairement) prise au piège de circuits nerveux statiques et répétitifs qui sont à l'origine de la misère, des conflits, des préjugés, de la guerre et de la stupidité. Il n'y a plus aucune raison pour qu'une aussi triste situation se poursuive. Il est facile de reprogrammer le système nerveux et d'ainsi faire disparaître ces circuits statiques et mécaniques (réflexes conditionnés). Vous pouvez être ce que vous voulez être, dès maintenant.

Il est facile de reprogrammer le système nerveux. Commencez avec l'exercice nommé Thoth(2) par les mystiques Gnostiques. Ça commence par de l'imagination mais ça va beaucoup plus loin. Voici ce que vous allez faire:

Imaginez intensément le champ "astral" autour de votre corps, tel qu'on peut le voir sur les photographies Kirlian. Par l'IMAGINATION et la VOLONTÉ, donnez à ce champ la forme d'une Divinité: Christ, Buddha, Pan, la Grande Mère, Krishna, Aphrodite, ou de qui vous voulez. Il est facile de commencer à reprogrammer le système nerveux à l'aide de cette imagination intense. Faites l'exercice au moins dix minutes chaque matin et chaque soir durant une semaine. Puis, la semaine suivante, exercez-vous quinze minutes tous les matins après avoir fumé une cigarette de cannabis.

Faites l'acquisition d'un magnétophone. Enregistrez cinquante fois minimum la phrase: "Vous pouvez être ce que vous voulez être, dès maintenant." Puis, ajoutez une phrase nécessaire à votre développement propre, comme par exemple: "Je peux être joyeux, dès maintenant", "Je peux être sans peur, dès maintenant", "Je peux être aimant et patient, dès maintenant".

Répétez la transformation en la forme du Dieu tandis que le magnétophone vous passe les nouveaux programmes. Faites-le jusqu'à ce que vous sachiez, sans aucun doute possible, qu'il ne s'agit plus d'imagination mais que le nouveau programme a été implanté dans vos neurones.

***



Lire et étudier soigneusement " Exo-psychology " de Timothy Leary(3), "Programming and metaprogramming the human bio-computer", par John Lilly(4); ainsi que tout texte concernant la "magick" et la guérison par Aleister Crowley, Israël Regardie, G.I. Gurdjieff, Mary Baker Eddy.

Il est facile de reprogrammer le système nerveux par ces méthodes. Envoyez partout des copies de cette missive, spécialement aux journaux et aux stations de radio éducatives ou underground. Le pouvoir de ce signal est amplifié mille fois à chaque passage à la radio ou à la TV.

L'espèce évolue, la technologie (l'extension de l'esprit par le "hardware") évolue, nous sommes sujets à l'expansion dans l'espace, le temps et la conscience; le système nerveux se doit lui aussi de suivre le mouvement.

Robert Anton Wilson.
(extrait de "Illuminati Papers", traduit par Soror Sekhmet).

NOTES

(1) Une traduction du "Liber Astarté vel Berylli" est parue dans le n 3 de la revue BLOCKHAUS qui comporte d'ailleurs un important dossier Crowley . La "magick letter" est reproduite dans le présent ouvrage (pages 45 à 47).

(2) Il s'agit de l'Assomption des Formes Divines. Consulter "Dogme et Rituel de l'Aube Dorée" par Léon et Philippe Pissier, chez le même éditeur.

(3) Traduction française aux Presses de la Renaissance, sous le titre de "La Révolution Cosmique".

(4) Non traduit. Uniquement trouvable en français "Les Simulacres de Dieu", aux éditions Retz.

 

Ce texte a été publié en 1995 par Philippe Pissier, directeur de collection aux éditions Ramuel. Notre version est amicalement pompée du site de notre ami Jean-Luc Colnot Magick-InstinctML.