Introduction au Cantique des cantiques

Introduction au Cantique des cantiques

Avant d’aborder différents points d’études sur ce texte Saint parmi les textes saints de la bible hébraïque - pour paraphraser une phrase légendaire du non-moins légendaire Rabbi Akiba (1), héros de la résistance contre l’envahisseur romain et qui a défendu la place du Shir Hashirim dans le corpus biblique, je vais essayer de lister les principales lectures du texte. Il sera alors plus facile de repérer une piste et trouver son chemin dans ce jardin foisonnant qu’est ce merveilleux petit chant pour ensuite s’atteler à une lecture plus profonde.

En effet, chacun doit trouver un sens qu’il trouvera convenable à ce texte hétéroclite dans la bible, ce qui n’est pas forcément évident puisque le décor n’a rien de commun avec le reste du corpus. Le Cantique est un texte érotique, immoral, et non-yahviste. Il a tout pour être exclu du corpus et pourtant il semble que l’on y tienne tout particulièrement tant chez les juifs que chez les chrétiens, à part peut-être certains protestants qui sont malheureusement parfois trop pudiques pour exprimer leurs sentiments sur ce texte. En revanche, si tous reconnaissent avoir une certaine admiration au Cantique, tous sont aussi d’accord pour se sentir obligés de lui donner un sens acceptable à leur goût. Pour reprendre l’expression de Patrick Calame et Frank Lalou dans leur Grand livre du Cantique des cantiques tous sont d’accord pour « l’habiller ».

Voici les grandes lectures, sans entrer trop dans les détails :

Les religieux interprètent la relation entre la fiancée et son amoureux comme une relation entre la communauté, l’église ou la synagogue, et Dieu ou Jésus.

Les impies du genre Voltaire ou Renan y voient une pièce politico-sociale qui met en scène les problèmes que rencontrent la jeunesse à vivre librement sa sexualité dans une société contraignante et abusive.

Il y a aussi un courant mystique important qui voit dans l’aventure amoureuse du Cantique l’aspiration sublime de l’âme (la fiancée) à l’union mystique avec Dieu, l’Esprit (le fiancée). C’est l’interprétation la plus importante et qui est sans doute l’une des principales raisons de l’attachement général à ce texte. C’est la lecture de Sainte Thérèse d’Avila et de Saint Jean de la Croix (La Nuit Obscure de Jean de la Croix est un commentaire du Cantique).

La kabbale est au départ fondée sur notre Cantique. En effet, le Shiour Koma (« la mesure du corps ») est la base de la kabbale. Précisons juste qu’il était important pour les mystiques d’avoir une idée de Dieu, une idée un peu précise, et le Cantique dans son interprétation allégorique permettait d’identifier le corps de Dieu au corps du fiancé qui est si bien décrit par sa chérie. Comme la représentation de Dieu est absente dans le reste de la bible, le Cantique offrait la plus belle des solutions…

Le Cantique est aussi un témoignage de cultes préexistants au yahvisme dominant dans la bible hébraïque. On trouve des évocations de rites hiérogamiques traditionnels exclus par le yahvisme jaloux. On trouve par exemple un rituel d’union entre le roi et la déesse Ashéra dans un jardin, ainsi que des évocations de situations multi-théistes tels que l’on peut en rencontrer sur les autels familiaux en Inde qui incluent souvent de nombreuses divinités. Ces nombreuses divinités sont à peine cachées derrières les buissons touffus du texte. On découvre facilement des esprits, des dieux de la nature, ou des divinités qui ont parfois été intégrés dans le yahvisme à la manière des anciens dieux païens que le christianisme a réincarné dans son culte sous la forme de saints.

Enfin, il y a une mystique toute particulière qui s’est développée autour du principal « dieu » du Cantique, Shaddaï. On trouve des traces de ces cultes initiatiques dans le Coran sous la figure de Al Khidr, le vert, dont Gustave Meyrink fera Le Visage Vert et qui est lié à El Shaddaï, ou B-El Shaddaï pour être précis et qui devra faire l’objet d’une étude approfondie.

Mais il ne sera pas gentil d’omettre de citer les jeunes mariés qui ont l’habitude de réciter à l’Eglise quelques versets évocateurs du Cantique lors de la cérémonie religieuse d’union sans réaliser que le Cantique n’est pas un conte de fées et il ne se termine pas par « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… » Mais ça met un peu d’amour dans le mariage, c’est quand même important !

Dans cette série d’articles, nous étudierons plusieurs de ces facettes.

Pour ceux qui voudraient commencer à se familiariser avec le Chant des chants, je ne peux que conseiller l’ouvrage cité en début d’article : Le Grand livre du Cantique des cantiques par Frank Lalou & Patrick Calame chez Albin Michel. C’est une excellente « caisse à outils » (dixit les auteurs) pour étudier ce joyau.

Matthieu Frécon, Sarreyer, mars 2023.

1. Rabbi Akiba était une autorité religieuse majeure à son époque qui avait insisté pour que soit introduit le Cantique des cantiques dans le canon biblique qui fût élaboré au début de l’ère chrétienne. La Mischna rapporte que le Rabbi des rabbis aurait dit que tous les livres de la Torah étaient saints mais que Shir HaShirim était le Saint des saints, ce qui ne laissa pas beaucoup de choix aux détracteurs du Poème de Salomon…